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Photo du rédacteurChristian Kénol

Pouvoirs des policiers de procéder à des détentions pour fins d'enquête.

Dernière mise à jour : 6 janv. 2022

La Common Law, toujours soucieuse de préserver à long terme la saine administration de la justice et les droits énoncés par la Charte canadienne des droits et libertés, encadre les pouvoirs d’enquête des policiers.


Lorsque des motifs objectif et subjectif soutiennent la tenue d’une enquête, le droit donne à la police le pouvoir de faire des "détentions aux fins d’enquête" et d’effectuer des "fouilles par palpations". Ainsi, comme le précise la Cour suprême:


Bien que, suivant la Common law, les policiers aient l’obligation d’enquêter sur les crimes, ils ne sont pas pour autant habilités à prendre n’importe quelle mesure pour s’acquitter de cette obligation. Les droits relatifs à la liberté individuelle constituent un élément fondamental de l’. Il ne faut donc pas prendre les atteintes à ces droits à la légère et, en conséquence, les policiers n’ont pas carte blanche en matière de détention.[1]


L'article 9 de la Charte prévoit que « (c)hacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires ». La détention s’entend de la suspension du droit à la liberté d’une personne par suite d’une contrainte. Une détention aux fins d’enquête doit être brève. Soit elle mène rapidement à une arrestation, soit à une libération. Si la détention dépasse un certain délai objectivement raisonnable (qui dépend des circonstances) elle devient illégale et arbitraire:

Lorsque la police n'a que des soupçons et ne peut légalement obtenir d'autres éléments de preuve, elle doit alors laisser le suspect tranquille, et non aller de l'avant et obtenir une preuve d'une manière illégale.[2]


Une détention aux fins d’enquête qui ne respecte pas l’article 9 de la Charte sera jugée comme arbitraire. La question de savoir s’il y a eu violation de cette disposition de la Charte comporte deux étapes. Premièrement, il s’agit de savoir si le plaignant a fait l’objet d’une détention quelconque. Deuxièmement, dans l’affirmative, il faut déterminer si la détention était arbitraire.


Dans l’arrêt Mann, la Cour suprême a statué que les policiers peuvent procéder à des fouilles préventives lorsqu’ils ont des motifs raisonnables de soupçonner qu’une personne est armée et dangereuse. Une détention aux fins d’enquête autorise donc les policiers à effectuer une "fouille accessoire à des fins sécuritaires". Cependant, si la fouille incidente à la détention n’est pas axée sur des considérations de sécurité pour viser plutôt la détection et la cueillette d’éléments de preuve. Elle est abusive et viole les droits de l’individu en matière de respect de sa vie privée (article 8 de la Charte).


Les interpellations policières d’automobilistes, effectuées notamment à des fins de vérification de permis ou de sobriété, sont justifiées constitutionnellement même si elle s’apparente à des détentions arbitraires qui violent l'article 9 de la Charte.



1.1. Le moment de la détention.

La question de savoir si et quand il y a eu détention est une question de droit, soumise à une évaluation objective, qui tient compte de l’ensemble des circonstances du contact entre les policiers et l'individu. La détention exige une contrainte physique ou psychologique. Plus précisément, la Cour suprême à statuer dans l’arrêt Grant que la détention psychologique par la police, peut se produire de deux façons: (1) lorsque le plaignant est légalement tenu de se conformer à un ordre ou à une sommation d’un policier, ou (2) lorsque plaignant n’est pas légalement tenu d’obtempérer à un ordre ou à une sommation, mais qu’une personne raisonnable se trouvant dans la même situation se sentirait obligée de le faire:

Après tout, la plupart des citoyens ne connaîtront pas exactement les limites imposées au pouvoir des policiers et pourront, selon les circonstances, percevoir une simple interaction de routine avec les policiers comme les obligeant à obtempérer à toute demande.[3]

1.2. La détermination du caractère arbitraire d’une détention:

Pour qu’une détention ne soit pas arbitraire, elle « doit être jugée raisonnablement nécessaire suivant une considération objective de l’ensemble des circonstances qui sont à la base de la conviction du policier qu’il existe un lien clair entre l’individu qui sera détenu et une infraction criminelle récente ou en cours »[4]. La question pertinente qu’il convient de se poser dans le cadre d’une détention aux fins d’enquête est la suivante: les faits indiquent‑ils, objectivement, la possibilité d’un comportement criminel compte tenu de l’ensemble des circonstances? Si la réponse est non, la détention est illégale. La norme des soupçons raisonnables est spécifiquement conçue pour prévenir les conduites policières aveugles et discriminatoires. Il faut immanquablement que la détention aux fins d’enquête puisse reposer sur des éléments factuels pouvant être présentés en preuve et faire l’objet d’une appréciation judiciaire indépendante:

L’exigence de soupçons raisonnables fondés sur des faits objectivement discernables permet un examen judiciaire ultérieur et protège contre l’action arbitraire de l’État. Selon le cadre établi dans l’arrêt Collins, le ministère public a le fardeau de prouver que les faits objectifs font naître des soupçons raisonnables, de sorte qu’une personne raisonnable à la place du policier aurait soupçonné raisonnablement la tenue d’une activité criminelle.


[...]

La formation et l’expérience du policier peuvent fournir un fondement expérientiel, plutôt qu’empirique, aux soupçons raisonnables. Toutefois, il ne s’ensuit pas que l’intuition fondée sur l’expérience du policier suffira ou que le point de vue de ce dernier sur les circonstances commandera la déférence (voir Payette, par. 25). Une supposition éclairée ne saurait supplanter l’examen rigoureux et indépendant qu’exige la norme des soupçons raisonnables[5].


Comme le réitère la Cour suprême dans la récente affaire R. c. Ahmad, 2020, les soupçons raisonnables objectifs garantissent un contrôle judiciaire de la conduite policière:

Cette norme exige des policiers qu’ils dévoilent le fondement de leur croyance et qu’ils démontrent qu’ils avaient des motifs légitimes relatifs à la criminalité de cibler une ou des personnes associées à un lieu. Une norme objective comme celle des soupçons raisonnables permet aux tribunaux de soumettre la conduite policière à un contrôle rigoureux afin de s’assurer qu’elle respecte la Charte canadienne des droits et libertés et le sens de la décence, de la justice et du franc‑jeu de la société parce qu’elle exige des faits objectivement discernables. Comme c’est le cas pour les fouilles sans mandat, « le juge du procès doit être en mesure de confirmer ces faits objectifs, et il ne doit pas être lié par les conclusions personnelles du policier qui a effectué l’enquête ».[… ] Ce concept est essentiel pour maintenir la primauté du droit et empêcher l’État de porter atteinte arbitrairement aux droits à la vie privée et aux libertés personnelles des individus.[6]

La norme des soupçons raisonnables oblige à apprécier l’ensemble des circonstances, inculpatoires et disculpatoires, pour déterminer s’il existe des motifs objectivement discernables de soupçonner qu’une personne se livre à une activité criminelle. En évaluant les circonstances qui ont entouré la détention, le tribunal ne doit pas évaluer les facteurs contextuels individuellement, mais plutôt dans leur ensemble.


L’obligation des policiers d’informer une personne de son droit à l’assistance d’un avocat garanti par l’article 10b) de la Charte s’applique dès le début d’une détention aux fins d’enquête.

1.3. Conséquence d’une détention aux fins d’enquête n’étant pas justifiée par des soupçons raisonnables

Si un juge conclut qu’une détention aux fins d’enquête n’était pas préalablement justifiée par des soupçons raisonnables comme l’exige la Constitution, le tribunal voudra généralement se distancer du comportement attentatoire de l’état et l’application des trois volets de l’analyse requise par le par l’article 24(2) de la Charte pourra l’amener à exclure les éléments de preuves recueillis par la police (notamment des déclarations incriminantes faites aux policiers), ce qui en pratique peut souvent mener à des acquittements.

1.4 Des considérations accessoires à la détention aux fins d’enquête


En 2009, la Cour suprême du Canada conclut que la décision d’utiliser un chien renifleur pour effectuer une fouille satisfait aux mêmes critères justifiant une détention aux fins d’enquête. Dans les deux cas, les policiers doivent avoir des soupçons raisonnables, fondés sur des faits objectivement discernables que des éléments de preuve établissant la perpétration d’une infraction seront découverts.

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[1] R. c. Mann, 2004 CSC 52, paragr. 35. [2] R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3

[3] R. c. Le, 2019 CSC 34, paragr. 26.

[4] R. c. Mann, supra, note 1, paragr. 35

[5] R. c. Chehil, 2013 CSC 49, paragr. 45 à 47.

[6] R. c. Ahmad, 2020 CSC 11, paragr. 24.




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