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Photo du rédacteurChristian Kénol

Fruits d’une conduite policière susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Dernière mise à jour : 4 janv. 2022

La prémisse est la suivante, il faut un contrôle du pouvoir coercitif de l’État vis‑à‑vis de sa population pour éviter les abus inconstitutionnels systémiques. Ce contrôle s’inscrit dans une optique à long terme.


Il ne fait aucun doute que les policiers sont dans l'obligation de connaître et de comprendre l’état du droit. Par ailleurs, le Code de déontologie des policiers du Québec prévoit aux articles 3 et 6 une norme élevée de conscience et de respect des droits garantis par la Charte:


3. Le présent Code vise à assurer une meilleure protection des citoyens et citoyennes en développant au sein des services policiers des normes élevées de services à la population et de conscience professionnelle dans le respect des droits et libertés de la personne dont ceux inscrits dans la Charte des droits et libertés de la personne.


6. Le policier doit éviter toute forme d’abus d’autorité dans ses rapports avec le public.


De plus, comme là récemment réaffirmé la Cour suprême:


Le policier a l’obligation d’avoir une connaissance et une compréhension adéquates du droit criminel et pénal, des infractions qu’il est appelé à prévenir et à réprimer, et des droits et libertés protégés par les chartes. Le policier a également l’obligation de connaître l’étendue de ses pouvoirs et la manière de les exercer...


Les citoyens s’attendent, avec raison, à ce que le policier possède une connaissance et une compréhension adéquates des lois et règlements qu’il est appelé à faire respecter, ainsi que des limites de son autorité. Le policier ne peut prétendre remplir sa mission maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, prévenir et réprimer le crime et les infractions aux lois et règlements sans avoir une connaissance et une compréhension adéquates des principes fondamentaux du droit criminel et pénal, des droits et libertés protégés par les chartes, et des infractions qu’il est appelé à réprimer, ni sans connaître les limites de son autorité.[1]


L'article 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit que: « (l)orsque…le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ».



Pour se prévaloir de son droit de faire exclure un élément de preuve inculpatoire, l’accusé doit premièrement prouver la violation du droit protégé et deuxièmement établir que l’utilisation des éléments de preuve obtenus (suite au comportement de la police) diminuerait la considération du public pour l’administration de la justice. Comme l’existence d’une violation d’un droit constitutionnel signifie que l’administration de la justice a déjà été mise à mal, l'article 24(2) de la Charte vise à faire en sorte que les éléments de preuve obtenus au moyen de cette violation ne déconsidèrent pas davantage le système de justice. Lorsqu’il évalue la preuve, le tribunal va généralement se détacher d’une conduite attentatoire des policiers pour ne pas envoyer le message que le système de justice tolère les inconduites de l’État. La Cour Suprême reconnait que l'objectif recherché par l’article 24(2) de la Charte est le « maintien à long terme de l’intégrité du système de justice et de la confiance à son égard »[2]. Ainsi, si un juge conclut que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits garantis par la Charte, ces éléments de preuve risquent d’être écartés. À titre d’illustration, lorsqu’un policier procède sans motif raisonnable à la fouille d'un véhicule pour y trouver 35kg de cocaïne, la découverte de la cocaïne sera inutilisable comme élément de preuve[3]. L’intégrité de notre système de justice criminelle et le respect que l’état doit à la Charte importent souvent davantage que la déclaration de culpabilité d’un accusé.


Ainsi, le tribunal saisi d’une demande d’exclusion fondée sur l’article 24(2) de la Charte doit évaluer et mettre en balance l’effet que l’utilisation des éléments de preuve aurait sur la confiance de la société envers le système de justice en tenant compte de trois considérations:


(1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État (l’utilisation peut donner à penser que le système de justice tolère l’inconduite grave de la part de l’État),


(2) l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte (l’utilisation peut donner à penser que les droits individuels ont peu de poids) et,


(3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond.


1.1 La gravité de la conduite attentatoire de l’État;


Plus les gestes ayant entraîné la violation de la Charte par la police sont graves ou délibérés, plus il est nécessaire que les tribunaux s’en dissocient en excluant les éléments de preuve. À cette étape, la couronne tentera généralement de démontrer que les policiers se sont conduits d’une manière compatible avec ce qu’ils croyaient subjectivement, raisonnablement et non négligemment être la loi. Cependant, les circonstances entourant des détentions et fouilles arbitraires sont régies par une jurisprudence bien établie et ne sont généralement pas susceptibles d’amener la police en terrain inconnu sur le plan juridique. De plus, l’omission des policiers d’envisager d’autres techniques d’enquête légalement disponible militera en faveur d'une conduite policière grave (voir R. c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13, par. 76).


1.2 L’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte;


Cette étape s’attarde sur les droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés qui ont été violés, notamment: ceux protégés par l’article 8 (saisie abusive), l’article 9 (détention arbitraire), l’article 10 (motifs, droit à l'avocat...). Il faut, se demander si la violation a effectivement porté atteinte aux intérêts protégés par le droit en cause et évaluer la portée réelle de l’atteinte en question. Si les violations de la Charte survenues au long du processus d’enquête sont multiples et s'accumulent, elle augmente leurs effets sur les droits de l’accusé ce qui militera fortement en faveur de l’exclusion (voir R. c. Boudreau-Fontaine, 2010 QCCA 1108, paragr. 59.).


1.3 L’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond;


L’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond milite habituellement en faveur de l’inclusion des éléments de preuve. Cependant, le troisième critère devient particulièrement important lorsque l’un des deux premiers (mais pas les deux) milite en faveur de l’exclusion des éléments de preuve. Lorsque les deux premiers critères, considérés ensemble, militent en faveur de l’exclusion, le troisième ne fera rarement, sinon jamais, pencher la balance en faveur de l’utilisation des éléments de preuve. À l’inverse, si les deux premières questions considérées ensemble étayent moins l’exclusion des éléments de preuve, la troisième question confirmera la plupart du temps que l’utilisation des éléments de preuve n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.[4]


1.4 Conclusion:


Généralement c’est la somme, de la gravité de la conduite attentatoire à la Charte (premier volet de l’analyse) et l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte (deuxième volet de l’analyse) qui détermineront si la balance penche en faveur de l’exclusion.


Les types de comportements policiers qui s’apparentant à des «parties de pêches» violent la primauté du droit et ne sont pas encouragés par notre système de justice. L’utilisation d'éléments de preuves qui résultent de ce genre de comportement peut donner à penser que les droits constitutionnels ont peu de poids et inciter les policiers à les outres passées lors de futures interactions avec des sujets canadiens. Comme le soulève la Cour suprême:


Il faut également garder à l’esprit que pour chaque violation de la Charte qui aboutit devant les tribunaux, il en existe un grand nombre qui ne sont ni révélées ni corrigées parce qu’elles n’ont pas permis de recueillir d’éléments de preuve pouvant mener à des accusations. Compte tenu de la nécessité que les tribunaux se distancient de tels comportements, la preuve que des actes portant atteinte à la Charte s’inscrivent dans un contexte d’abus tend à fonder l’exclusion.[5]


Même si l’intérêt de la société à ce qu'une affaire soit jugée sur le fond est important et que les infractions reprochées à un accusé sont objectivement graves, la gravité de la conduite de l’État et son incidence sur les droits garantis par la Charte, seront généralement jugées susceptibles de déconsidérerait l’administration de la justice si les éléments de preuves qui en résulte sont admis au procès, car:


(u)n jugement « au fond », dans un État de droit, présuppose un jugement fondé sur la légalité et le respect de normes constitutionnelles de longue date.[6]


Gardiens de la Common law, les juges sont amenés à empêcher que des éléments de preuve obtenus irrégulièrement puissent être pris en compte s’ils portent atteinte à la saine administration de la justice.

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[1] Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59, paragr. 55 et 58.

[2] R. c. Grant, 2009 CSC 32, paragr. 68.

[3] R. c. Harrison, [2009] 2 R.C.S. 494, paragr. 1 et 42.

[4] R. c. Le, 2019 CSC 34, paragr. 142.; R. c. Paterson, 2017 CSC 15, paragr. 56.

[5] R. c. Grant, supra, note 2, paragr. 75.

[6] R. c. Le, supra, note 4, paragr. 158.


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